Ancien Roi Du Pétrole
En racontant mon été à vélo, parcourant plus de 2000km pendant plusieurs courts voyages entre le Gard, l’Hérault, les Bouches-Du-Rhône, le Tarn, la Lozère, et la Haute-Loire, j’ai reçu plusieurs retours : “je ne pourrai jamais le faire”, “tu es fou”. Ces remarques m’ont poussé à faire un point sur le pourquoi je fais ça. Une histoire de mimétisme, de déclics, et également de limites.
Le début
A force de faire quelques kilomètres pour aller au lycée à vélo, j’ai eu envie de tenter d’aller chez mon père et faire 55km à vélo. C’était sans sacoche, sans avoir bien planifié la route, et j’ai cru abandonner 3 fois. Il m’a fallu un litre de boisson sucrée à l’arrivée pour retrouver mes esprits. Cette baffe que mon corps subissait, c’était 18 ans de conditionnement à la voiture et aux energies fossiles.
Cela a été dur de compter seulement sur mon corps pour bouger, mais je me rendais compte que je pouvais de plus en plus compter sur lui, et c’était absolument enivrant pour un jeune adulte prenant confiance en lui. Par manque d’exemple et d’infrastructure cyclable autour de moi, il m’a quand même fallu plusieurs années pour comprendre que je pouvais remplacer ma voiture pour la plupart de mes trajets par le vélo ou la marche.
Plusieurs années plus tard, je suis allé en courant à mon ancien collège - situé à 5km de chez moi - alors que j’avais toujours utilisé la voiture. Ce sentiment de fierté d’avoir accompli ce trajet avec mes jambes m’a donné le déclic dont j’avais besoin. Cela a contribué à me pousser à courir quelques années plus tard mon premier ultra-trail en 2022. Et surtout à fabriquer l’un des meilleurs souvenirs de ma vie.
Voyage (bas) carbone
Néanmoins, la première fois où j’ai compris les conséquences des gaz à effet de serre : la dure réalité des migrations, conflits, extinctions des espèces, maladies et famines, ça a été seulement 10 ans après avoir quitté le lycée à travers d’une fresque du climat où j’assistais à Marseille dans un bar où j’avais l’habitude d’aller.
Je ressortais de cette soirée avec une montagne de chose à apprendre, mon cerveau qui était pourtant issu d’une formation scientifique longue n’avait jamais été mis en face de cette contradiction, ou n’avait jamais voulu réaliser que nos modes de vie occidentaux avaient des limites physiques qu’on depassait et que pour respecter l’accord de Paris, la promesse de tous les politiques, il fallait une économie de guerre, et pas seulement trier sa canette et mettre une ruche sur le toit..
Comment réagir
J’ai souvent eu tendance à ne pas aborder les sujets sensibles dans mon entourage pour être dans une posture d’écoute mélangée avec une volonté de ne pas vexer les opinions. Certainement que je prennais ces sujets avec plus de légèreté car je ne les comprennais pas.
Le déreglement climatique prenant peu d’espace médiatique, 1% dans les JT de TF1 et France 2, et beaucoup dans ma vie d’ingénieur en transition, le fait de subir des opinions eloignées des faits scientifiques, car ils nous mettent en difficulté en nous remettant en question, m’a poussé à prendre plus la parole.
Surtout quand ces opinions vont de pair avec des paris sur le long terme d’une backstop technologie salvatrice nous permettant de ne pas changer d’un poil nos sociétés : stockage du carbone, avion et tank SUV “verts”, croissance verte infinie, et aucune redistribution des richesses actuelles car la croissance permet de ruisseler la richesse. Dommage que cet anticapitaliste de Joe Biden nous dise que ‘Trickle-Down Economics Has Never Worked’. Pourtant ça n’empêche pas ces croyances de perdurer :
Behold, Backstop technology is coming soon. - Musk 2:6-21
Depuis la lecture de cet article de Bon Pote, les 20 heures de cours de Jancovici aux Mines, la compréhension de ce qu’il y a derrière l’accord de Paris, j’echange sur le sujet. Ca me consomme de l’energie, mais cela m’a permis de progresser sur ma rhétorique, utiliser les meilleures ficelles sur lesquelles tirer pour déconstruire certains arguments, parfois même avec un cercle d"ecolo".
Le changement climatique c’est pas seulement de l’éco-anxiété, c’est un défi intellectuel qui m’a poussé à lire des livres que j’avais oublié et clairement la flemme d’ouvrir pour approfondir certains angles et surtout voir mes propres contradictions : ne plus utiliser de gobelet en carton au bureau mais faire des A/R NY-Paris tout en travaillant pour la Société Générale, faire pipi sous la douche face à manger de la viande.. Penser contre soi-même, ça aussi c’est une baffe.
Retravailler nos imaginaires
Un autre déclic s’est passé au parc Longchamp à Marseille là où je faisais régulièrement mes séances de sport. Cette touriste asiatique, parachutée d’un bus qui fait un tour de 20 minutes dans les meilleurs coins selon TripAdvisor de la ville, me demande avec Google Traduction :
¿Dónde está el baño?
Outre le fait qu’elle n’était pas sûre dans quel pays elle se trouvait, car elle avait choisi l’espagnol dans l’application de traduction, j’imaginais qu’elle était en tournée en Europe car visiter un seul pays n’est pas suffisant pour augmenter son capital culturel devant ses amis une fois rentrée. Comment lui faire comprendre que ma ville était en train de s’effrondrer et que les toilettes qu’elle cherchait étaient la plupart du temps fermées ?
Mais à travers cette bêtise, ce gaspillage d’argent et de carbone, pour qu’elle ne puisse en aucun cas apprécier à sa juste valeur là où elle était, je me voyais, moi et mes amis, comme dans un reflet.
Passant 3 jours à l’île Palma de Majorque ou au Portugal, histoire de faire un séminaire pour cadres où on pratique le rire ensemble, à boire de la bière bon marché sur la plage la plus touristique du pays pour faire une vidéo de recrutement sympa où on me verrait sourire, trinquer, et m’épanouir.
Par contre, quand je remets en cause cet idéal d’après guerre, celui d’une croissance, je sens de l’agressivité. Quand j’explique que je ne souhaite plus faire de l’hypermobilité, et que je renonce à l’avion ou des kilomètres en voiture, mon interlocuteur a dans les yeux une envie subite de me traiter d’extrêmiste. C’est tellement la loose d’aller dans le Tarn, il n’y a pas encore assez d’influenceurs qui y sont passés… Surtout quand comme on peut le lire des messages inspirants comme sur le maillot du club de football de Lyon : “Dubai vous attend”.
Je ne connais pas chez moi
J’ai longtemps pensé que boire un cocktail hors de prix sur un rooftop à NY était l’apogée de ma vie. Maintenant c’est plutôt boire un sirop de citron avec eau gazeuse dans un village cévenol. Bizarre.
A travers le sport encore une fois, la course de sentier (trail) et la marche, j’ai découvert des endroits à 500 mètres de là où j’ai grandi. Pourquoi vouloir partir loin, quand on ne connait rien et que tout est étranger chez nous. A l’argument que je ne voyage plus, je réponds qu’au contraire, je commence tout juste à voyager mais autrement. Des personnes plus expérimentées que moi dans cette rhétorique répondent par une question “est ce qu’on arrête de voyager lorsqu’on ne prend plus l’avion ou la voiture ?”
Mon premier voyage à vélo, une nuit dans les Cevennes là où j’ai grandi, était mémorable, j’ai pu observer des reflets de satellites et apprécier la durée d’un crépuscule pour la première fois. Cela valait tous les cocktails de New York. Toujours bizarre ?
Tu ne connais pas chez moi
Est ce que moi aussi je devrais les traiter du nom d’un mouvement militaire cambodgiens lorsque je prévois de faire la plus belle voie verte de ma région, le Passo Païs, suivi d’un canal du midi pour aller rejoindre des amis et qu’on me questionne :
tu vas pas vraiment le faire à vélo ?
S’ils étaient venus avec moi on aurait certainement fait de très beaux souvenirs. Ca sera pour une prochaine je l’espère.
Le jugement
Lors de discussions avec des amis qui tournent autour de la future destination du couple, ou lorsqu’on a fait tourner la clim avant de m’accueillir pour l’apéro. Je peux sentir des regards gênés envers moi, ou des excuses que je ne demande pas.
Comme si on m’érige en totem de ce qu’il faut faire du fait je roule à vélo et que je suis végétarien. Je possède encore une voiture, même si j’ai l’objectif de m’en séparer, et je fais tourner le ventilateur et la climatisation chez moi lors des trop longues périodes de canicule dans le sud de la France.
Je suis conscient de l’effet modèle que je peux représenter, à moindre portée que les influenceurs, car l’Homme est un animal mimétique. Mais je fuis la pureté et je fais tout cela avant tout pour me sentir bien dans ma tête et dans mon corps.
Le coût des choses
En regardant les corps idéalisés dans nos imaginaires via le matraquage publicitaire (31 milliards de dépense en France chaque année). Et considérant l’argent qu’on consacre pour tenter de ressembler à ces corps ou avoir le dernier objet dans le but de faire évoluer notre capital symbolique. Que devrions-nous penser d’une vision du monde où on utiliserait moins les énergies fossiles et plus nos jambes - ce qui combattrait le fléau de la sédentarité et modélerait nos corps ?
Alors, lâche ta caisse, et marche. Reprends ton vélo, et roule, roule, roule.