Analyse De 60 000 Reportages Des JT De 20h France 2 Et TF1

• 24/02/2022
• 22 minutes de lecture

Suite aux vagues de chaleur de décembre 2021 et aux reportages des JT de TF1 et France 2 avec des personnes buvant le rosé en terrasse innocemment sans comprendre la puissance des changements climatiques en cours comme dans le film “Don’t Look Up”. Il m’a fallu analyser les reportages sur le changement climatique plus en profondeur et sur la durée.

J’ai pour cela scanné avec un projet numérique tous les textes des 60 000 reportages disponibles sur le site de France 2 et TF1 pour les JT de 20h depuis 2013. Les méthodes de récupération de données, qui sont en libres accès, sont expliquées dans cet article. Et je vous invite à consulter le site web du projet d’où est tiré la photo de couverture de cet article.

Il en ressort que 99.2% des reportages ne contiennent pas le mot réchauffement, dérèglement ou changement climatique, seulement 481 en parlent sur les 60 000 analysés. J’en ai conclu que mon producteur de légumes me parle plus de climat que les JT de TF1 et de France 2.

Un constat partagé par des journalistes comme Thomas Baëito dont le tweet a été liké par la rédactrice en chef de France Info et certains journalistes des Echos ou du Temps :

Bref, arrêtons de traiter la météo comme si nous ne vivions pas déjà dans un #climat réchauffé par notre mode de vie énergivore.

Ce n'est pas qu'une affaire de rubricards spécialisés : c'est de la responsabilité de tout journaliste [4/4]

cf https://t.co/7RPMu0fPXD

— Thomas Baïetto (@ThomasBaietto) January 6, 2022

Cet article qui prend largement appuie sur les travaux du sociologue Jean Baptiste Comby, dans sa thèse “La question climatique”. Il a conduit 70 entretiens avec des journalistes en charge de l’environnement dans les médias généralistes nationaux, et analysé 663 reportages sur les enjeux climatiques dans les JT.

Avant de commencer

Un point vocabulaire sur le changement climatique du sociologue Jean Baptiste Comby :

“Il conviendrait donc de ne pas parler non pas d’un ‘réchauffement climatique’ mais de ‘changements climatiques’ au pluriel pour souligner que, en fonction des territoires et des périodes, les règlements des climats provoqués par le réchauffement anthropique de l’atmosphère terrestre prendront des tournures variées.” L’expression “réchauffement climatique” est réductrice

Une analyse générale - les grands thèmes des JT

En guise d’introduction, on peut regarder quels sont les grands thèmes du JT de 20h de France 2 sur les 3 dernieres années, qui sont grossièrement les mêmes que ceux de TF1.

2020 et 2021 - Une explosion des reportages sur le coronavirus

Parenthèse sur la canicule de 2019

Les canicules de 2019 (juin et juillet) est le seul thème dont les JT ont le plus parlé lié aux changemements climatiques, hélas quand on zoome sur ce thème on trouve ce genre de reportage loufoque :

• Soldes d’été : la canicule et le mouvement des Gilets jaunes pénalisent les commerçants - TF1
• Canicule : un effet positif sur les soldes ? - France 2
• Consommation : à cause de la canicule, le prix du melon s’effondre - France 2
• Canicule : la chaleur fait fuir les campeurs - TF1

J’ai fait beaucoup d’effort pour trouver des reportages sérieux, et on est souvent déçu comme dans “Canicule : la France étouffe” - France 2. En deux minutes de reportage chrono, on nous conseille de visiter des grottes, et de s’hydrater, on apprend aussi les impacts sur la culture des fraises, et on voit des marathoniens boire de l’eau.

Bravo à la rédaction de TF1 qui fait l’exploit de ne pas mentionner les changements climatiques durant les canicules, on a seulement chez France 2 de bons reportages mais qui sont noyés dans tous ceux cités en haut :

• Canicule : quelles sont ses causes ? où on voit l’augmentation des fréquences et les prévisions pour 2050
• Canicule : les records de températures, symptômes du réchauffement climatique où on apprend que les canicules de 2003 ou 2019 (au dessus de 40 en après midi) seront des étés normaux.

Un petit rappel du résumé pour décideurs du GIEC fait toujours du bien après vu un reportage sur l’effet positif, ou négatif selon le media, des canicules sur les soldes :

A.3.1 It is virtually certain (99–100% probability) that hot extremes (including heatwaves) have become more frequent and more intense across most land regions since the 1950s - Résumé pour décideurs GIEC 2021

Les reportages de 2013 à 2021 parlant du climat

J’ai regardé une centaine de reportages sur 8 ans. J’ai été ému de voir Nicolas Chateauneuf, la personne qui présente presque chaque sujet sur le climat, prendre de l’âge, pousser même une barbe plutôt sympathique et commencer à mettre des lunettes. Mais à part cela, le constat est plutôt déplaisant. Je ne parle pas des voix uniformisées presque caricaturales des reportages, mais les rares reportages parlant des changements climatiques mettent souvent son lien avec celui-ci au conditionnel, et parfois le nient.

Le tabou des causes des changements climatiques

On nomme encore plus rarement les causes : l’alimentation, transport, chauffage, consommation d’objets etc. On préfère utiliser des formulations neutres et floues comme “si rien ne change” ou “à condition que nous maintenons le changement climatique à 2 degrés”. On ne parle jamais des systèmes productivitifs à outrance, ou mettre un bémol aux technologies utopistes, comme le clonage des séquoias, ou l’avion du futur 0 carbone vendues par les industriels, qui financent en partie les médias via les annonceurs.

Par contre, chaque année on parle de records, en oubliant que l’année dernière on avait déjà battu le record, en pleine amnésie générale.

Et on alterne entre le pire :

On parle souvent des effets néfastes du réchauffement climatique. Jamais de ses effets positifs, bien moins nombreux. Au nord-est des États-Unis, la Nouvelle-Angleterre est le royaume des homards. Ils s’étaient fait plus rares or les eaux plus chaudes les font revenir et la pêche n’a jamais été aussi abondante. - “Etats-Unis : des homards en abondance” - 2013 - France 2

Et le meilleur :

Cette courbe, c’est la concentration du CO2, du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Elle fluctue légèrement jusqu’au début de l’ère industrielle. On commence à brûler du charbon, du pétrole et cette courbe explose. Le CO2, c’est le moteur du réchauffement climatique.

• “Réchauffement climatique : la disparition des saisons ?” - 2013 - France 2

J’ai parfois eu de l’espoir, comme dans “Réchauffement : 2016, année record” où on peut entendre pendant 5 secondes “l’Homme, avec ses émissions de gaz à effet de serre” pour ensuite brouiller les pistes en responsabilisant “El Nino”.

Ou quand Valerie Masson-Delmotte, la co-présidente du groupe 1 du GIEC, en 2019 dans “Réchauffement climatique : des chaleurs inédites et planétaires” qui explique la part de l’Homme est à 100% sûr dans le réchauffement climatique.

Sur les experts interviewés

Le sociologue Jean Baptiste Comby précise que les experts comme Jean Jouzel ou Valérie Masson Delmotte “interviennent plus pour attester du problème et ses impacts que pour expliquer et comprendre d’où il vient”.

Les changements climatiques “sont causés par les ‘activités humaines’. Or le flou de cette catégorie universalisante, illustrée par des fumées d’usines ou des pots d’échappements, ne favorise pas une discussion sur les logiques productives, industrielles ou financières pouvant aggraver l’effet de serre."

Vers une augmentation des fréquences de reportages sur les changements climatiques ?

Le réflexe naturel serait de dire qu’on a de plus en plus de reportages sur les changements climatiques et ses causes. Non, toujours la même courbe d’environ 45 reportages dans l’année sur 3000 reportages par an pour TF1 et 5000 pour France 2, soit entre 0,4 et 1.4% max par an.

L’ordre des reportages

Comme l’ordre des pages de résultats de Google, plus on s’éloigne loin de la première page de résultats moins le reportage est pertinent pour les rédactions. On assiste à une gaussienne centrée autour du milieu du JT : 11ème position sur en général 17 ou 20 reportages dans un JT.

Les JT de France 2 ont ouvert seulement 8 fois depuis 2013 avec un sujet parlant des changements climatiques. Ca a été par exemple la démission de Nicolas Hulot, ou la COP21.

Un exemple caricaturale, c’est l’ouverture de ce JT de France 2 du 17 septembre 2019 avec ce bon reportage “Réchauffement climatique : les prévisions encore plus sombres” qui enchaine par contre avec des petites solutions sur les émissions sur l’élevage de vaches sans mentionner l’importance d’arreter ou de réduire la viande comme le recommandent des think tank pour décarbonner notre économie.

Et bien sûr le reportage d’après sur le pétrole parle des “automobilistes qui se ruent sur les pompes” sans évoquer les changements climatiques.

Du pétrole à l’infini ?

Les énergies fossiles avec le pétrole sont à l’origine des changements climatiques et génèrent des crises pétrolières depuis les années 1970. Des pays comme les Pays Bas ont fait le choix de réduire ses importations avec un réseau cyclable continues et sécurisées à travers tout le pays. Dans les JT, les reportages sur le pétrole avec leur “facture toujours plus lourdes” ou des “prix qui flambent” s’enchainent en ne mettant presque jamais en avant des solutions comme l’utilisation de vélo cargo qui fait économiser des milliers d’euro aux familles.

Le sociologue Jean Baptiste Comby illustre ce problème :

Le prix du baril à un niveau prochainement insoutenable. Une telle contrainte à court terme doit pousser nos gouvernants à favoriser un changement radical de modèle de production. Or, construites sur le mirage de la relance financière, aucune des politiques empruntées par les gouvernements occidentaux ne prend cette direction, et si rien ne change, nos économies vont, d’un pas sûr, dans le mur.

Fatigue - toujours réexpliquer les mêmes choses

On retrouve chaque année et plusieurs fois dans la même année toujours la même question : “comment expliquer l’intensification des phénomènes climatiques ?” On parle tellement rarement du climat qu’on est obligé de réexpliquer les bases à chaque fois, et que non c’est pas parce qu’il a gelé ce matin à Toulouse que les changements climatiques n’existent pas. Et on fait ça depuis les années 1970. Et dès ces années là, les vrais responsables comme Total, “où le problème y est reconnu noir sur blanc”, préparent leur fabrique de doutes.

A croire que les sujets climat sont devenus un marronnier :

Un marronnier, en journalisme, est un article ou un reportage d’information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un événement récurrent et prévisible. source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnier_(journalisme)

Ce problème d’habitude est expliqué à merveille par cet extrait dans “La Question Climatique” :

La banalisation de la question climatique rejette un peu plus encore dans l’oubli la thèse selon laquelle, si les climats changent anormalament ce serait parce que l’ordre social qui s’est durablement imposé depuis près d’un siècle et demi est devenu insupportable pour les systèmes naturels en général et la machine climatique en particulier.

Des doutes et encore des doutes

Ce qui fait le plus mal c’est qu’en plus de réexpliquer les mêmes choses, on émet des doutes, et on relaye des propos climatoseptiques comme avec cette polémique de 1976 2016 “Réchauffement climatique : N. Sarkozy n’est pas convaincu” : les journalistes qui devraient le ridiculiser au même titre que quelqu’un qui dirait que l’eau ne mouille pas restent dans la retenue la plus totale.

Lorsqu’un record de chaleur hivernale est encore une fois battu, le dialogue avec les deux journalistes est irréaliste : “Peut on établir un lien entre cette hausse des températures et le changement climatique? “ - “Ah non, il est encore trop tôt.” “Météo : une douceur pas forcément liée au réchauffement climatique” (2016 - France 2)

L’utilisation du conditionnel qui fait perdre toute force au reportage. Comme l’explique Clément Viktorovitch “nous avons tendance à être plus facilement émus par ce qui nous semble avéré et précis, plutôt que par ce qui nous paraît douteux et vague”

“Pour les géologues, c’est peut-être un effet du réchauffement climatique.” 2017 - “Suisse : huit disparus après une coulée de boue”

“Le réchauffement climatique pourrait en partie expliquer l’intensité de ces phénomènes” “2021 - Intempéries : comment expliquer l’intensification des phénomènes climatiques ?”

L’utilisation de modalisation, c’est présenter un reportage de façon discutable. Certains reportages ont tendance à abuser de la forme interrogative pour y insérer un élement d’incertitude “qui peut suffire à changer le sens d’une information”, explique Clément Viktorovitch, alors qu’il y a aucun doute dans leur reportage. Comme dans :

• “Incendies en Australie : le réchauffement climatique en cause ?”
• “Incendies au Canada : le réchauffement climatique en cause ?”
• “Environnement : la Floride bientôt sous les eaux ?”
• “Réchauffement climatique : les côtes françaises sensibles aux montées des eaux ?”

Quand on en parle, c’est parfois comme un détail insignifiant. Sur un reportage de 1 minute 30, “Intempéries records : comment expliquer ce phénomène ?” France - 2, on conclut tout sourire à 15 secondes de la fin : “plus le climat se réchauffe, plus il y a d’humidité dans l’air, c’est un fait scientifique, et plus le risque d’avoir des pluies violentes est élevé. La France reste un pays au climat tempéré, mais qui rentre comme le monde en zone de turbulences”

Dépolitisation du problème

En s’appuyant une nouvelle fois sur la thèse de Jean Baptiste Comby, on peut apprendre que les journalistes “estiment d’ailleurs qu’en illustrant un problème, ils s’en tiennent aux faits et sont donc objectifs; cette croyance professionnelle oublie toutefois qu’en ne traitant pas les causes de ces faits, une telle médiatisation contribue à les épargner, à dissoudre les responsabilités, et à prendre parti pour les interprétations officielles. Ce faisant, la prétention des journalistes à l’objectivité est malmenée dans la mesure où ils cautionnent l’ordre social en ne l’interrogeant pas.”

Autrement dit, certains journalistes ne veulent tellement pas paraître militants, qu’ils omettent inconsciemment ou non, des informations. Paradoxalement, ils deviennent des militants de la société du monde sans fin productiviste.

La question climat n’est pas dépeinte comme un enjeu politique, c’est à dire nécessitant une redéfinition en profondeur de l’organisation sociale et des logiques de productions et de consommation dominantes, mais bien davantage comme un problème se manifestant par un ensemble de désordres naturels susceptibles de susciter une réaction morale.

On assiste alors à une “fait diversification” du problème climatique sans jamais remettre en cause notre société productiviste.

En poursuivant leurs objectifs d’audience par le biais d’un traitement axé sur les conséquences spectaculaires et les initiatives exemplaires, contribue à une dépolitisation du problème climatique

La course à l’audience

La rédactrice en chef de France 2 communique presque uniquement sur les courbes d’audience sur twitter.

Cela engendre plusieurs choses, comme le manque d’analyse de fond du problème précise Jean Baptiste Comby :

Pressés par le temps comme par les exigences d’audience et devant composer avec des moyens de production précaires, les journalistes tendent désormais à raconter les enjeux environnementaux sur un mode anecdotique

Et également, une norme consciente ou inconsciente sur si on va traiter une information et comment :

La fabrique des “news” est fortement contrainte à des exigences commerciales, et donc aux verdicts de l’audience et aux recettes publicitaires qui en découlent. Ceci entraine une redéfinition des critères du “bon” reportage.

Les solutions présentées

L’écocitoyenneté - faire culpabiliser les classes populaires et moyennes

L’éloge des petits gestes du quotidien est le vecteur préféré de communication sur les solutions aux problèmes climatiques. Comme dans “Climat : et vous, que faites-vous ?” - France 2 - 2018, où on peut entendre :

Je ne laisse pas couler le robinet quand je me brosse les dents, des choses toutes simples - micro trottoir France 2

Qu’est ce qu’on doit entendre vraiment quand on parle d’écocitoyenneté, c’est qu’il n’y a pas besoin de faire plus d’efforts que d’éteindre la lumière ou l’eau. On peut continuer à voyager loin, acheter des grosses cylindrés “qui ont les meilleures dans leur catégorie de consommation de carburant”, et se suréquiper d’appareils numériques et electroménagers.

Le but de l’écocitoyenneté vient de servir de marqueurs de distinction sociale. Primer l’intérêt écologique pour signaler un désintérêt économique, l’enjeu est notamment de marquer sa distance avec les individus les plus pauvres.

Ca pourrait nous donner le sourire quand on sait l’importance des actes à faire, -5% ou plus de gaz à effet de serre par an. Ce genre de témoignage permet aussi de cacher les autres gestes plus importants qu’on pourrait prendre :

le privilège accordé pour des raisons commerciales aux cadrages visant à ‘sensibiliser’ entraîne également un récit journaliste conformiste, c’est à dire peu critique et donc soumis à l’ordre politique établi

D’autant plus qu’on sait que “Les 1 % les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité”

La pensée écocitoyenne passe sous silence les inégalités de contribution au problème climatique, ce qui évite de rendre visibles et discutables les hiérarchies sociales. (…) L’éco citoyenneté, dite universelle et neutre, profite à certains intérêts et groupes sociaux qu’à d’autres.

Tandis que le confinement de la question climatique aux enjeux de l’atténuation des émissions de GES masque les inégalités face au problème et met tout le monde dans le même bateau, un cadrage qui prêterait davantage attention aux problématiques de l’adaptation pourrait révéler que les membres des classes sociales favorisées bénéficient d’un accès privilégié aux canots de sauvetage. Cela reviendrait à inscrire les souffrances provoquées par les dérèglements climatiques non plus dans les domaines peu polarisables de la nature ou de l’imprévoyance individuelle, mais dans celui de l’organisation collective.

On assiste à un paradoxe social où les pauvres et la classe moyenne sont mal vus car ils ne font pas les gestes “ecocitoyen” en n’ayant pas un SUV electrique, mais ils contribuent le moins aux gaz à effet de serre. Les transformant en “écologistes à leur insu”

Cette asymétrie reflète un état des rapports de force entre les classes sociales et s’ancre plus précisement dans la monopolisation des instruments du débat public par les groupes dominants (…) Or, c’est précisément parce que les discours écocitoyens occultent le coût environnemental élevé des styles de vie des classes supérieures et moyennes supérieurs que ces derniers peuvent régulièrement faire leur profession de foi écologique sans avoir à interroger leurs aspirations consuméristes.

Soucieux d’éduquer en douceur pour éviter de contrarier trop brutalement l’ordre social dominant et les valeurs morales qui le sous tendent, ils veillent à ce que les messages ne soient ni “trop violents” ni “à côté de la plaque

C’est là où le discours écocitoyen avec lequel on est bercé depuis tout petit est dangereux pour permettre une réelle transition de notre économie. Cela génère qu’à une Fresque du Climat où j’ai participé, un participant pourtant sensibilisé à la question climatique car il était ingénieur de l’ADEME et père, ne concevait pas de réduire l’aviation car ce sont pour lui “ses meilleures vacances”. Comme si les vacances se résument à prendre l’avion et partir à l’autre bout du monde, sachant que seulement 11 % de la population mondiale l’a déjà pris, cela revenait à dire que 89% de la population mondiale n’a pas pu avoir d’excellents souvenirs dans leur vie ?

Comby conclut merveilleusement par

L’individualisation des enjeux “permet de mettre l’ordre social capitaliste à l’abri de la critique écologique et fournit (…) un précieux paravent public.

Sur ce paravent il faut appuyer avec cet autre citation qui appuie sur le fait qu’il faut que tout le monde fasse sa part :

On ne peut changer les individus sans changer la société. Il s’ensuit que c’est bien en redéfinissant profondément l’organisation de la vie collective et les institutions socialisatrices que l’on peut “changer les hommes qui passeront par elles et que l’on révolutionne les individus qui feront la société de demain”.

Néanmoins, il ne faut pas caricaturer cette pensée en disant que les citoyens n’ont aucun effort à faire, aller au rythme nécessaire pour respecter l’accord de Paris nous avons besoin de tout le monde.

Sur l’opposition ou les alternatives

On a vu que le sujet du climat est dépolitisé par les reportages. Ceci a tendance à neutraliser toute critique :

Dépolitiser revient à “mettre le discours climatique dans la catégorie des discours “sans opposants”, au même titre que les thématiques antiracistes, écologistes ou celles liées à la lutte contre des maladies universelles”

Les reportages parlant du changement climatique ”n’entame en rien l’échelle des valeurs capitalistes”

Sur plus de 60 000, nous avons 0 reportage parlant de “néolibéralisme”, 19 de “libéralisme”, et enfin 21 de “capitalisme”. Sur ces derniers, qui contiennent le mot “capitalisme”, nous avons un florilège de peur, de casseurs ou de baba cools à qui ça passera dans pas longtemps :

• “l’absence de structuration, ça ne peut pas durer très très longtemps” - “Que sait-on des militants d’“Extinction Rebellion” ? - TF1

• “Les revendications sont très généralistes, c’est de l’anticapitalisme”, résume Christophe Miette” - “5G : les antennes relais prises pour cible” - France 2

• “les militants de la mouvance d’extrême gauche avaient promis sur les réseaux sociaux de faire vivre l’enfer aux symboles du capitalisme.” - “1er mai : de violents incidents ont éclaté à Paris” - TF1

• “Ces groupuscules ou réseaux d’ultra-gauche veulent mettre à bas le capitalisme. Ils se sont greffés au mouvement des Gilets jaunes. Mais quelles sont leurs méthodes et leurs réseaux ? Et surtout, quelles armes utilisent-ils ?” - “Casseurs : qui sont-ils ?” - TF1

• “Ils détruisent tout sur leur passage et sont très rarement interpellés.” - “Qui sont les black blocs ?” - TF1

Je vous déconseille donc d’utiliser le mot “capitalisme” dans vos discours car il est connoté négativement et l’employer fera de vous des personnes “au mieux comme sympathiques, anecdotiques ou guère généralisables, et au pire comme farfelus ou utopistes” comme le décrit Jean Baptiste Comby dans sa thèse.

L’alternative écologique, si elle ne disparaît pas complètement des médias généralistes, demeure présentée, dans les rares reportages qui la médiatisent, sur le registre de l’exotisme ou de “l’expérience originale et sympathique”

2 reportages seulement sur les 21 contenant le mot “capitalisme” remettent le productivisme sans limite du capitalisme doucement en question :

• “Monde de la finance : les ‘repentis’” - France 2 - 2013, mais à la fin du reportage on reste sans espoir sur l’avancement de progrès dans le domaine :

“le texte n’est pas prêt d’entrer en vigueur, le parlement Européen a déjà annoncé qu’il s’y opposerait.”

• “Corée du Sud : visite du pape François” - France 2 - 2014 où le pape “François revient à ses fondamentaux avec une charge contre le capitalisme sauvage”

Le danger avec cette omission d’autres voies que le capitalisme est de croire qu’il n’y a pas d’alternative comme le disait Thatcher en 1970 et que cela pourrisse nos imaginaires collectifs ce qui empêchera le respect de l’accord de Paris.

Cette mise en sourdine au sein du mouvement écologiste de toute perspective idéologique autre que celle colportée par les jeux politiques et médiatiques dominants constitue un autre facteurs contribuant fortement à éclipser du débat public conventionnel les visions expliquant que le problème climatique interroge frontalement les structures sociales du capitalismes et les modes de vie qu’elles encouragent.

Les arguments qui plaident pour une profonde redéfinition des logiques économiques dominantes afin de faire face à la “crise écologique” ne parviennent toujours pas à pénétrer régulièrement l’espace des discussions officielles sur le problème climatique.

Et on assiste plutôt à son contraire, comme dans ce reportage d’ouverture de 2019 de France 2 “Bourse mondiale : une fin d’année record” ou de 2021 “Bourse : record historique du CAC 40” où on ne fait jamais le lien avec les changements climatiques.

De l’espoir

Avant de conclure je veux quand même lister les bons mais rares reportages qui permettent de faire avancer la remise en question de notre société trop gourmande en énergie fossile :

• ” COP26 : feux de forêt, dégel, montée des eaux… Les conséquences mondiales du dérèglement climatique"

On entend parfois que les COPs ne servent à rien, mais elles permettent néanmoins d’en parler dans la presse et donc de toucher l’opinion public.

David Pujadas et les différents scénarios du GIEC où on “abandonne progressivement les énergies fossiles” dans “Réchauffement climatique : les différents scénarios possibles”

Et une petite liste en vrac:

• “Réchauffement climatique : le cas français”
• “Climat : 2050, l’alerte rouge.” - 2017 France 2
• “Climat : alerte rouge pour la planète” - 2021 TF1
• “Madagascar : une famine causée par le réchauffement climatique” - 2021 France 2
• " Est-ce la fin de la croissance ?" - 2015 France 2

Conclusion

Les JT traitent leurs téléspectateurs comme des enfants à qui il faut sans cesse réexpliquer les mêmes choses. On ne traite pas les changements climatiques comme la guerre en Irak ou un fait divers. Les fréquences et l’intensité des canicules, crues, incendies, le manque de neige… sont dans toutes les têtes. Il faut maintenant expliquer comment les atténuer en mettant l’accent sur les causes liées à un système productiviste et court-termiste. Et proposer tous les jours des solutions : végétaliser et localiser un maximum son alimentation, se déplacer sans pétrole car 56% des actifs prennent leur voiture pour faire 2km, expliquer qu’il faut mettre un pull chez soi en hiver, arreter de perdre son argent et son temps chez Zara, réduire le temps de travail pour avoir du temps pour réfléchir à tout ça et profiter de ses proches, une activité qui ne dépend pas d’energie fossile.

Le consentement au capitalisme n’est ni unanime, ni homogène, ni définitivement acquis. C’est notamment pour cela que la conservation d’un ordre social suppose l’entretien permanent de sa légitimité. Il s’ensuit des cadrages qui individualisent le problème climatique ont également pour enjeu de conforter l’architecture sociale et économique des sociétés de marché en marginalisant les interprétations susceptibles d’en saper les fondements symboliques. - Jean Baptiste Comby dans “La Question Climatique”

Si vous avez lu jusqu’au bout vous voudrez certainement signer deux pétitions sur le sujet :

• “JT et chaînes d’actualités en continu : parlez-nous du dérèglement climatique !”
• “Ensemble, exigeons de parler climat dans le débat présidentiel !”

Articles dans cette série

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