Notes De Lecture: Le Travail Préssé - Gaudart - Volkoff
J’ai pu rencontrer Denis Migot lors du dĂ®ner des confĂ©renciers de l’agile tour de Montpellier 2023. Lors d’un tour de prĂ©sentation de la soirĂ©e, en quelques minutes cette personne m’a convaincu de son intelligence et sortait du lot : enfin quelqu’un qui parle des sciences sociales dans un contexte d’organisation de travail.
Quelques mois plus tard, Denis a donnĂ© cette confĂ©rence Ă Rennes : Souffrance au travail comment l’industrie agile y contribue - Denis Migot oĂą il recommande quelques livres dont “Le travail prĂ©ssĂ©” - 2022 Ă©crit par 2 ergonomes. Il mettait clairement des mots sur ce que j’avais pu ressentir Ă quelques moments de ma carrière.
Des citations pour vous donner envie de voir sa conférence :
L’agilité est un cheval de Troie pour vendre des formations
“La plupart des équipes agiles ne le sont pas. Je ne connais aucune entreprise agile” - Ron Jeffries - co-créateur du manifeste agile contacté par Denis
injonction au ludique et au positif : tout doit ĂŞtre drole, joyeux - comme si il fallait porter un nez rouge pour trouver le travail acceptable
ça mène toute constestation impossible, pourquoi tu te plains ? tout le monde s’amuse ! c’est fun ici !
Des similitudes avec la tech - Chapitre 4 “Au carrefour des temps: piloter une Ă©quipe”
Lors des sprints, j’ai souvent pu constater l’absence de prises en compte de moments de transmissions, de temps reservĂ©s aux moments urgents : les bugs fix et autres surprises de production, et les choses imprĂ©visibles pour quelqu’un qui n’a pas une vision globale des infrastructures distribuĂ©es de plus en plus complexes des cloud providers.
la culture du sprint dans laquelle nous sommes privilĂ©gie la quantitĂ© plutĂ´t que la qualitĂ©. - “La Culture De La RĂ©silience Ă€ Travers Le DevOps, DevPO, Et DevQA” - Paul Leclercq
Ces personnes dĂ©cidant du contenu de ces sprints sont des “Ă©quilibristes” ayant un pied - parfois seulement quelques orteils - dans la technique et l’autre dans “le politique et le stratĂ©gique”. L’Ă©quilibre est malaisĂ© Ă trouver : d’un cĂ´tĂ© l’agenda est dictĂ© par Jira, et l’autre par le rappel au rĂ©el de ceux et celles qui font.
Il existe pourtant des “manager acrobates” qui arrivent Ă jongler entre les deux. Ce type profil est dĂ©crite par les auteurs du livre comme des “encadrants de proximitĂ©” qui sont des “concepteurs locaux”, qui sont selon les auteurs, peu reconnus par des hierachies plus Ă©levĂ©es, ou en tout cas ne retient pas toute l’attention qu’ils mĂ©riteraient.
Les auteurs concluent ce chapitre par :
Encadrer revient Ă bâtier des arrangements d’urgence qui, Ă terme, sont contre-productifs, voire accroissent les problèmes de santĂ©. Quand le travail est un Ă©difice conçu Ă la hâte, il se fissure Ă l’usage.
Transmettre et apprendre
L’injonction au travail acharnĂ© - overwork culture - qui peut faire perdre le caractère crĂ©ation d’un collectif des temps de pause. Sans aller jusqu’à l’enfer des plateformes d’e-commerce chinoises, oĂą l’on parle du “996” : 9h du matin Ă 21h 6 jours sur 7. J’ai pu dans ma carrière faire des tunnels de plusieurs semaines sans prendre ou avoir l’occasion de prendre de la hauteur, car il fallait dĂ©livrer. Je sais maintenant que ces temps “perdus” n’en sont pas et en font gagner sur le long terme, tout en permettant une meilleure santĂ© au travail.
Il est parfois difficile de questionner sa santé au travail dans ces effets tunnels. Au début de ma carrière, à cause d’un travail trop intense et mal reconnu, j’ai gagné 10kg en 1 an. Ma balance a été un indicateur que je montais beaucoup trop haut dans les tours.
Sur la fin de vie au travail - “maladie du temps”
Ce livre parle de condition difficile dans les hauts fourneaux de Fos-sur-Mer que j’ai l’habitude de voir lors de mes trajets en train, voiture ou vĂ©lo entre Montpellier et Marseille. Le travail Ă la hâte se mĂ©lange mal avec mĂ©taux en fusion.
Cela m’a poussĂ© Ă mieux apprĂ©cier l’espĂ©rance de vie, dont la moyenne cache les nombreux morts jeunes :
Quelques extraits du livre
ĂŠtre «agent de fiabilité», c’est dĂ©ployer dans l’activitĂ© du quotidien des stratĂ©gies d’anticipation visant Ă imaginer les risques et Ă faire en sorte qu’ils n’adviennent pas. Si c’est tout de mĂŞme le cas, leur rĂ©cupĂ©ration, alors sous fortes contraintes temporelles, est possible quand il existe des ressources collectives, quand les personnes sont assez expĂ©rimentĂ©es pour savoir comment agir, quand elles ont les marges de manĹ“uvre pour le faire. Cette activitĂ© est bien souvent invisible et peut se rĂ©aliser au dĂ©triment de la santĂ© des personnes et des collectifs de travail: santĂ© et sĂ©curitĂ© ne font pas tout le temps bon mĂ©nage, comme nous le verrons dans les histoires Ă suivre. Son invisibilitĂ© la rend fragile et elle peut ĂŞtre remise en cause par des changements dĂ©cidĂ©s ailleurs. Cette activitĂ© est pourtant cruciale.
Quand le travail devient Ă la fois plus dense et plus imprĂ©visible, force est de donner la prioritĂ© Ă la tâche obligatoire, immĂ©diate et censĂ©ment productrice de valeur ajoutĂ©e. Les temps qui servent Ă prĂ©parer le travail, anticiper les incidents, vĂ©rifier un geste que l’on vient de faire ou une dĂ©cision que l’on vient de prendre, rectifier ou peaufiner, mais aussi se concerter entre collègues, transmettre des savoirs, confronter et discuter des façons de faire se rĂ©duisent ou disparaissent. Or c’est lĂ , dans ces temps “non productifs”, dans des actions souvent peu ou pas visibles, que se joue la qualitĂ© du rĂ©sultat.
La stimulation mentale dans le travail est prĂ©cieuse Ă toutes les Ă©tapes de la vie professionnelle, y compris les plus tardives. Un travail fade ou immuable s’accompagne d’une prĂ©valence accrue des troubles de santĂ© mentale, d’un sentiment de ne pas pouvoir poursuivre jusqu’Ă la retraite ou d’une intention de prendre celle-ci rapide ment. Le “retrait”, dans ces conditions, n’est une situation ni enviable ni prometteuse.
Le citadin qui a l’occasion de partir Ă la montagne se rend compte Ă quel point le bĂ©ton l’enferme la plus grande partie de son temps.
Regarder loin devant ou loin derrière est devenu une occasion rare. La pression sur le temps de l’horloge et sur ceux du travail, en ne valorisant que le temps immĂ©diat, produit pourrait-on dire le mĂŞme effet. Ce que nous faisons se trouve enfermĂ© dans un prĂ©sent perpĂ©tuel.
Interview
Le travail pressĂ©" par Corinne Gaudart et Serge Volkoff | L’invitĂ© du 13h